Situation du régime des retraites des fonctionnaires au Maroc:
La situation du régime des retraites des fonctionnaires civils au Maroc devient de plus en plus préoccupante pour l'avenir. Ce constat est relevé depuis plusieurs années par la Caisse Marocaine des Retraites (CMR), mais aucun gouvernement n’a eu l’audace de prendre la décision de proposer et mettre en œuvre une réforme structurelle ,globale et consensuelle du régime des retraites des fonctionnaires marocains, de peur d’ébranler la paix sociale.
Le déficit de la CMR est estimé à 430 milliards de dirhams en 2013 et se creuse de jour en jour. Tout retard dans la mise en œuvre d’une réforme adéquate du régime de la retraite, se traduit par un accroissement de sa dette. Le déficit est du au fait que l’effectif des retraités qui a atteint en 2011, 249.492 pensionnaires[1], enregistrant un accroissement de 5% par rapport à l’année 2010, a progressé trois fois plus rapidement que celui des actifs (629.892 en 2011) durant les vingt dernières années. Les études actuarielles réalisées dans ce cadre, montrent que 2013, l’engagement net non couvert du régime civil des fonctionnaires atteint 705,73 milliards de dirhams. Ce montant ne tient compte que des engagements pris à l’égard des retraités, des affiliés et des ayant droits.
Cette situation s’est aggravée par la revalorisation consentie en 2011 dans le cadre du dialogue social ,à travers une augmentation du seuil minimum des pensions de retraite, porté de 600 à 1.000 dirhams et de celle des salaires net des fonctionnaires relevés mensuellement de 600 dirhams. Le nivellement par le bas de la pension de retraite concerne 31.760 pensionnaires. Ilse traduit par une charge financière annuelle supplémentaire pour la CMR, de 50 millions[2] de dirhams. Quant à l’augmentation des salaires bien qu’elle induise à cout terme, une augmentation des recettes de la CMR retardant de 7 mois l’apparition du premier déficit, elle creusera l’engagement net non couvert de 40 milliards de dirhams et aggravera de ce fait ,la dette implicite de plus de 10%.
La CMR a enregistré son premier déficit au cours du dernier trimestre de l’année 2012(315 millions de dirhams) et la faillite septans plus tard, si aucune mesure n’est prise. Cela l’obligera à puiser dans ses réserves à partir de 2014 jusqu’à leur extinction totale en 2022. Ces prévisions obligent l’ensemble des partenaires sociaux à trouver des solutions à la problématique du déséquilibre que connaît le régime des pensions civiles.
Consciente de la gravité de sa situation financière, la CMR n’a pas cessé, depuis 2010, de tirer la sonnette d’alarme en proposant une série de mesures à même de consolider à court et moyen terme les équilibres du régime des pensions civiles, en vertu de l’article 13 de la loi du 7 août 1996 qui stipule que « les taux de cotisation et des contributions sont réajustées sur proposition du Conseil d’Administration, dans les conditions et formes prévues par les textes régissant les régimes de pensions ». Ces mesures[3] concernent le report de 5ans, étalé sur une période de 10 ans, de l’âge de départ à la retraite, l’augmentation du taux de cotisation de 2points par an pour passer de 20% actuellement à 26% en 2014 et l’aménagement de l’assiette de cotisation sur la base d’un salaire de référence calculé sur la moyenne des salaires des 8dernièresannées, de manière progressive jusqu’en 2018. Néanmoins, aucune de ces décisions n’a été prise à cet effet et la loi des Finance de 2015 n’a pas prévu, non plus, de dispositions réglementaires dans ce cadre.
L’effet combiné des trois mesures ainsi proposées se traduirait, selon la CMR, sur l’équilibre du régime à travers[4](1)la réduction de l’engagement net non couvert jusqu’en 2060 de 57%, avec un gain net de 276milliards de dirhams; (2) le report de la date d’apparition du premier déficit financier du régime des pensions civiles à l’année 2023; et (3) le renforcement du rôle de la réserve dans le financement du régime en permettant à la CMR, en cas de recours aux matelas de réserves constituées, d’honorer ses engagements jusqu’en 2030 au lieu de 2022 dans le cas du statuquo.
Expériences étrangères :
Les mutations socio-économique et démographique que connaissent les populations à travers le monde, caractérisées plus particulièrement, par la baisse du taux de mortalité, l’amélioration du niveau d’instruction et l’augmentation de l’espérance de vie, ont eu des conséquences très lourdes sur les régimes de retraites. Cette situation s’est détériorée davantage par la crise économique de 2008 en raison de ses conséquences sur l’augmentation du chômage. Aussi, les équilibres financiers de ces régimes sont-ils caractérisés de plus en plus par une forte incertitude sur leur taux de solvabilité pour faire face à leurs engagements financiers respectifs. De ce fait, la problématique des retraites est aujourd’hui universelle et fait l’objet d’un débat public dans plusieurs pays.
La France a adopté en 2010 la loi sur la réforme des retraites, malgré les vives contestations des syndicats relayées par des grèves. Cette réforme réaménagée en 2013,prévoit :
- Le relèvement progressif en six ans, à raison de quatre mois par an, de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, à partir de 2011.
- Le relèvement progressif de 65 à 67 ans, à partir de 2016, de l'âge à partir duquel ne s'applique plus le mécanisme de décote (dans le cas où le salarié n'a pas cotisé le nombre de trimestres requis pour obtenir une retraite à taux plein). Un salarié du privé de 65 ans à qui il manque quatre années, car il n'a cotisé que 37 ans et demi, devra travailler deux ans de plus, jusqu'à 67 ans, ou subir une décote de 10 %.
- Les cotisations salariales et patronales augmenteront de 0,15 point en 2014, puis 0,05 en 2015, 2016 et 2017 (au total 0,3 point) pour passer de 7,85 % à 8,15 %.
- La durée de cotisation pour une retraite à taux plein augmentera d'un trimestre tous les 3 ans, jusqu'à 43 ans en 2035 (41,5 ans avant la réforme).
- La mise en place d'un "compte personnel de prévention de la pénibilité" financé par les entreprises en 2015.Ce compte est destiné à tout salarié du secteur privé exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité.
- La mise en place d’un système de cumul de points ouvrant droit à des formations, à un temps partiel en fin de carrière ou au bénéfice de trimestres de retraite et d’un système de doublement des points acquis pour les salariés du privé proches de l’âge de la retraite au moment de la réforme n'ayant pas accumulé suffisamment de points est prévu.
En Allemagne, la révision en profondeur de l'assurance-retraite a été adoptée en 2007, après cinq ans de débats menés par une commission d'experts et centrés sur le recul de l'âge d'obtention d'une pension complète, dans le but de freiner la baisse du niveau des retraites et la hausse du niveau de cotisations. L'âge légal de départ à la retraite est passé à 63ans et celui qui permet de prétendre à une retraite à taux plein est relevé de 65 à 67 ans (ou une cotisation pendant 45 ans), au risque, en cas de départ avant cet âge, d'une décote.
En Espagne l'âge légal de départ à la retraite est de 65 ans avec la possibilité pour les fonctionnaires qui le souhaitent de rester actif au delà de 67 ans. De même, la préretraite est possible à 61 ans avec 30 années de cotisations. Dans certaines professions (métiers pénibles, carrières longues), la retraite anticipée à 60 ans est également possible, mais en contrepartie le niveau des cotisations des salariés concernés a été augmenté. Les pensions sont calculées sur la base des quinze dernières années. Le taux de la pension est de 50 % pour les quinze années de cotisations, de 80 % pour vingt-cinq années et de 100 % après trente-cinq années. L'âge moyen de sortie du marché du travail est de 62,6 ans. Compte tenu de l'importance du chômage du à la crise économique qui a frappé l’Espagne, les autorités ont envisagé de repousser l'âge légal de la retraite de 65 à 67 ans (de 61 à 63 ans pour la préretraite) entre 2013 et 2025. Le montant des pensions ne serait plus calculé sur les quinze dernières années mais sur vingt ans, voire davantage. Le gouvernement pourrait aussi proposer d'inciter à recourir davantage aux plans de retraites complémentaires.
En Italie, le régime des retraites compte deux types différents. Il y a d'abord la pension de «vieillesse », prévoyant un minimum de vingt ans de cotisations. Elle est fixée à 65 ans. Il y a ensuite la pension d'« ancienneté », basée sur un système de points, obtenus en faisant la somme de l'âge de départ à la retraite et du nombre d'années de cotisation, qui détermine le droit au départ.
En 2010, il faut atteindre 95 points (avec un âge minimum de 59 ans) pour avoir droit à une pension. Un salarié de 59 ans avec 36 années de cotisations peut donc prendre sa retraite. Mais une réforme adoptée en 2009, qui prend en compte l'augmentation de l'espérance de vie pour calculer l'âge de la retraite, prévoit qu'il faudra 96 points en 2011 et 97 points en 2013, ce qui ira de pair avec un recul à 61 ans de l'âge minimum de départ à la retraite pour tous les salariés. En 2008, l'âge moyen de sortie du marché du travail était de 60,8 ans.
Aussi, les mutations socio-économique et démographique ont-elles engendré des situations difficiles dans les finances des régimes de retraire, conduisant les gouvernements à prendre les mesures qui s’imposent, combinant à la fois le report au delà de 60 ans, de l'âge minimal d'ouverture des droits à la retraite pour ajuster la durée de la vie de travail sur l'allongement de la vie tout court, la durée de cotisation minimale requise, les conditions d'accès à une retraite à taux plein, l'âge réel de départ ou encore les dispositifs qui permettent de prendre une retraite anticipée.
Cas du Maroc :
Le Maroc qui subit de son côté et de plein fouet, les conséquences des évolutions socio-économique et démographique, n’échappe pas à cette règle. Car, les équilibres financiers de la CMR deviennent difficiles à réaliser et conduiraient indéniablement, en cas de statuquo, à un déficit qui empêcherait ce régime d’honorer ses engagements à l’horizon 2022. Cette situation devrait inciter les pouvoirs publics à réagir rapidement afin de prendre les mesures adéquates en vue de réformer ce système.
Les expériences de réformes des régimes de retraite mises en œuvre par des pays étrangers dont ceux cités ci-haut, constituent sans aucun doute, de bonnes références et permettent d’en tirer les points forts, les insuffisances, les opportunités et les menaces pour bâtir un scénario fiable pour le régime de retraite de la CMR propre pour le Maroc. La réforme de celui-ci peut être imaginée selon trois scénarios :
Scénario 1 : Le recrutement massif dans la fonction publique qui augmenterait les recettes de la CMR et améliorait son équilibre financier. Il préserverait sur tout les paramètres actuels du régime des retraites : âge ouvrant droit à la retraite, taux d’annuité, durée requise de cotisation, âge du taux plein… Néanmoins, l’équilibre financier de la CMR nécessiterait, dans ce cas, la création, pendant au moins 10 ans de suite, de 10 fois plus le nombre de postes budgétaires ouverts par la loi de Finances de 2015.Une telle approche déstabilisera les équilibres budgétaires en augmentant davantage le budget de fonctionnement de manière drastique par rapport à son niveau actuel qui est de 11% du PIB et constituant de ce fait, l’un des taux les plus élevé au monde. La faisabilité de ce scénario est loin d’être requise.
Scénario 2 : Des réformes paramétriques qui viseraient à améliorer la situation financière du système, à court ou à moyen terme, en agissant sur les différents paramètres du régime des retraite: report de quelques années de l'âge ouvrant le droit à la retraite, durée requise de cotisation, baisse du niveau des pensions, augmentation des taux de cotisation, réduction du taux d’annuité, ou apport de ressources fiscales.
Scénario 3 : Une réforme globale et intégrée des régimes de retraite qui modifierait complètement le système, de façon à l'unifier et à garantir sa soutenabilité financière. Cette réforme devrait conduire à la création d’un régime regroupant aussi bien les retraités du secteur privé que ceux du secteur public et géré par répartition. Ceci devrait faciliter, entre autres, la mobilité entre le public et le privé, des actifs, sans perdre leurs droits et permettre de prendre en considération, le cas échéant, un régime complémentaire des travailleurs non salariés. Un régime facultatif complémentaire par capitalisation pourrait s’ajouter au régime global. La mise en œuvre d’untel scénario devra être étalée sur une dizaine d’années.
Proposition du gouvernement :
Le gouvernement actuel a eu l’audace et le courage de prendre à bras le corps ce dossier et a adopté le 7 janvier 2016,un projet de la réforme tant attendue de la Caisse Marocaine des Retraites (CMR) ainsi que cinq autres textes l'accompagnant. Ce projet a été soumis au Parlement, sans une adhésion totale de la part de l'opposition et des syndicats. Le gouvernement considère indispensable cette réforme pour sauver la CMR qui risque d'enregistrer d'ici 2022, un déficit de réserves de l'ordre de 120 milliards de dirhams.
Le projet de la réforme ainsi proposé relève graduellement sur trois ans, l'âge du départ à la retraite de 60 ans actuellement à 63 ans en 2019 avec un premier départ à la retraite à l'âge de 61 ans en 2017 puis à 62 ans en 2018. Il comporte aussi le relèvement de la cotisation et le calcul de la pension de retraite sur la moyenne du salaire perçu lors des 8 dernières années d’exercice avant le départ à la retraite.
Conclusion :
Compte tenu de l’importance de la réforme et de ses répercussions économiques et sociales et au regard des vives contestations des syndicats et de l’opposition qui ont accompagné l’élaboration des réformes dans les pays qui ont osé faire le pas, il est impératif de rechercher le consensus des partenaires sociaux et de l’opposition au Maroc, bien que le consensus en général, soit une solution généralement peu satisfaisante.
Le débat parlementaire entre le gouvernement d’un côté et les syndicats et l’opposition de l’autre côté pour la réforme du système des retraites au Maroc, devrait être objectif et avoir un fondement technique, loin des calculs électoraux et des prétentions émotionnelles pour solutionner la problématique des retraites. Le gouvernement doit argumenter de manière scientifique sa proposition, selon une approche pragmatique, étayée par des études actuarielles, afin de convaincre les uns et les autres du bien fondé des changements à introduire dans le système actuel en vue d’aboutir au scénario le plus plausible.
Le débat à connotation émotionnelle caractérisée par la défense des intérêts sociaux de la population est un faux débat. Car, le souci majeur de tout gouvernement qui se respecte est la satisfaction sociale de la population, pour se maintenir au pouvoir. Le gouvernement actuel a eu le courage d’ouvrir des chantiers audacieux à l’instar de la caisse de compensation et la retraite. Elle a également mis en œuvre plusieurs actions sociales, notamment au profit des populations à revenu limité. Ces actions sont à mettre à son profit et il y a lieu de faciliter son travail par une prise de position argumentée de point de vue technique.Car, l’échec de la réforme du régime de la retraite se traduirait par un désastre social matérialisé par l’absence totale du budget nécessaire pour le payement des pensions de retraite de quelques 400.000 retraités en 2022.
Le tableau suivant présente les paramètres les plus représentatifs des régimes de retraites d’un certain nombre de pays dont le Maroc.
Pays |
Âge légal de départ à la retraite (ans) |
Durée cotisation (ans) |
Âge du taux plein (ans) |
Liquidation des droits (ans) |
Sorti marché du travail (ans) |
|
Homme |
Femme |
|||||
France |
62 |
62 |
41,5 |
67 |
61,5 |
61,5 |
Allemagne |
65 |
65 |
45 |
67 |
63,2 |
63,2 |
Espagne |
65 |
65 |
35 min |
65 |
62,9 |
62,9 |
Pays Bas |
65-67 |
65-67 |
50 |
65 |
65 |
65 |
Royaume Uni |
65 |
60 |
44 (30 en 2046) |
65 (60 femmes) |
62 ,3 |
62 ,3 |
Italie |
65 |
65 |
36 |
67 |
61 |
60,8 |
Maroc |
60 (65enseignant) |
54 |
21[5] min (15 femmes) |
40 annuités |
60 |
55 |
Jillali Chafik
Expert indépendant
Le prochain dossier portera sur la corruption au Maroc