Beaucoup de personnes, si ce n’est la majorité, s’intéressent au secteur de l’enseignement au Maroc et en font leur propre évaluation, du fait de leur implication directe en tant qu’acteurs ou indirecte en tant que partenaires. D’autant plus que ce secteur tient une place stratégique dans la vie des peuples, car c’est par l’enseignement qu’on prépare les générations futures qui reprendraient le flambeau à leurs ainés. L’échec du secteur se traduit par une formation biaisée des génération futures qui impacterait négativement sur tous les autres secteurs de l’économie nationale.
Depuis l’indépendance du Maroc à nos jours, des efforts importants ont été déployés par le pouvoir public pour développer ce secteur stratégique, et plusieurs réformes, directives et commission sont été instituées pour répondre aux attentes des parents d’élèves d’une formation adéquate de leurs progénitures, malheureusement sans grand succès. Il s’agit :
- La formation, en 1957, de la haute commission à l’enseignement ;
- La commission royale de réforme de l’enseignement, instituée en 1958 ;
- Le conseil suprême de l’enseignement, établi en 1959 ;
- Le symposium de Maâmora organisé en 1964 ;
- Le projet dit « Benhima » préparé en 1967 ;
- Les deux conférences d’Ifrane organisées respectivement en 1970 et 1980 ;
- La commission nationale de l’enseignement, instituée en 1994 ;
- La commission spéciale de l’éducation et de la formation,(COSEF) instituée en 1999et qui a mené une réflexion collégiale par des représentants de différentes catégories sociales : partis politiques, syndicats, société civile, experts… Elle a permis, sur la base d’études par des institutions nationales et internationales et par des visites à des pays disposant d’un système d’enseignement de qualité, à l’adoption de la charte nationale de l’enseignement, sous forme de loi. Cette charte a défini une feuille de route pour la décennie 2000-2009.En 2009, on se rend compte avec beaucoup de regret, que la mise en œuvre des recommandations inscrites dans la charte sont bien en deçà des objectifs qui y sont clairement définis et on essaye bon an mal an, de remédier aux insuffisances par l’adoption du programme d’urgence 2009-2012. Néanmoins, on se rend à l’évidence en 2012, que ce programme d’urgence qui a coûté quelques 3,3 milliards de dirhams est un échec cuisant.
- L’étude réalisée en 2007, par le Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSE) qui a conduit en 2008, entre autres, à la création de la Fondation Marocaine de la Promotion de l’Education Préscolaire.
- La nouvelle stratégie « Vision 2015-2030 » établie par le CSE,sur la base des résultats du colloque sur l’évaluation du système d’enseignement au Maroc, organisé les 22 et 23 octobre 2015. Cette stratégie vise l'émergence d'une école de l'équité et de l'égalité des chances, d'ouverture et de promotion sociale, tout en accordant la priorité à la qualité dans l'enseignement public, à l'ouverture sur les langues étrangères, notamment dans l'enseignement des matières et spécialités scientifiques et techniques, ainsi qu'à la promotion de la formation professionnelle, particulièrement à travers l'orientation précoce des élèves et étudiants qui ont des qualifications et des penchants dans ce domaine. Elle a introduit l’enseignement préscolaire obligatoire dans le système éducatif marocain et sa généralisation en 2030.
Dans les années 1980, le ministre de l’éducation nationale, Feu Azzeddinz Laraki a procédé, avec le soutien de son parti, l’Istiqlal, à l’arabisation du système éducatif public. Les enseignants qui enseignaient les matières scientifiques en français ont été, soit remplacés par des étrangers (égyptiens, soudanais, syriens) soit convertis à l’arabisation. En 1989, l’arabisation est achevée et toutes les matières sont enseignées en arabe dans le primaire, le collège et le secondaire. Le français est maintenu comme langue étrangère. Le Ministre a introduit également des cours d’études islamiques obligatoires et a interdit les cours de philosophie et de sociologie. Le français comme langue d’enseignement est conservée dans les écoles techniques et professionnelles du secondaire, les établissements d’enseignement technique, les écoles supérieures d’ingénierie et de commerce, les facultés de médecine et les universités des sciences et sciences économiques.
Cette approche sectaire a fait que les rares familles aisées, y compris celles des ténors du parti de l’Istiqlal qui défendaient en public et à outrance l’arabisation du système éducatif, ont quitté l’enseignement public et ont inscrit leurs enfants dans les missions étrangères ou dans l’enseignement privé qui maintient le français comme langue d’enseignement, tout au moins des matières scientifiques. Les enfants de cette catégorie de la population suivent souvent des parcours d’excellence au Maroc (médecine, ingénierie, commerce…) ou s’inscrivent dans de grandes écoles françaises ou américaines. L’enseignement public est dorénavant réservé aux enfants des familles à revenu limité. Elle est de ce fait, dévalorisée.
Pour évaluer notre système éducatif, on se réfère à l’indice de développement humain publié en 2013 par le PNUD et qui place le Maroc à la 129ème place sur un total de 187 pays analysés. L’indice se fonde sur trois critères : 1) l’espérance de vie à la naissance qui est au Maroc de 70,9 ans, 2) la durée moyenne de scolarisation pour les adultes de plus de 25 ans qui, dans notre cas, n’est que de 4 ,4 ans et la durée attendue de scolarisation pour les enfants d'âge scolaire qui n’est que de 11,6 ans, enfin 3) le revenu par tête d’habitant qui est de 6.905 US$.Dans cet indice, le critère qui constitue le maillon faible est bien évidemment celui de l’éducation. Iln’a pas tellement évolué depuis plusieurs années, ce qui démontre en quelque sorte que le développement humain au Maroc connaît par le fait de ce critère, une stagnation dans le temps. On se souvient qu’en 1994, Feu Sa Majesté Hassan II s’est inquiété sérieusement des insuffisances de l’enseignement et a adressé une lettre en ce sens au Parlement marocain et que lors du lancement d'un colloque sur l’enseignement, il a affirmé qu'au rythme où va l’enseignement marocain "les marocains risquent non seulement d’être des pauvres mais aussi des ignorants".
Il faut rappelé auparavant que le système éducatif marocain est caractérisé par la cohabitation de systèmes publics et privés, francophone et arabophones et de missions étrangères, françaises, espagnoles et américaines. Le système public est de la responsabilité du pouvoir public par le biais des départements ministériels concernés, alors que le système privé est géré par des entreprises privées et sans contrôle de la part du pouvoir public. Ce système est l’œuvre de marocains mais aussi de plusieurs étrangers d’origines diverses. On y trouve des européens, des canadiens, des égyptiens, des irakiens, des syriens…, l’agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), l’enseignement catholique et les missions espagnoles et américaines.
Plusieurs experts nationaux et internationaux ont évalué notre système éducatif public en exprimant leurs opinions sur ce secteur stratégique. Ces opinions ont un dénominateur commun : la qualité de l’enseignement du système public au Maroc laisse à désirer ! De quoi souffre notre système éducatif ?
- La qualité de l’enseignement dans le secteur privé
Dans son rapport de 2008, le CSE indique que le nombre d’enfants scolarisés dans le privé (primaire et collège) ne dépasse pas les 7%, alors que la charte préparée par la COSEF prévoyait de le porter à 20% à l’horizon 2009.Le mode d’organisation de ces écoles montre que le secteur privé notamment au niveau du primaire, accorde une importance particulière à l’enseignement du français et son utilisation comme langue d’enseignement, à l’accès à des moyens didactiques et pédagogiques et à des activités culturelles et sportives, ainsi que l’environnement scolaire. Toutefois et malgré la sélection draconienne à l’inscription des enfants dans ce système qui ne choisit que les meilleurs et le coût relativement élevé des frais de scolarité supporté par les parents, l’enseignement privé au Maroc n’a pas rivalisé pour autant, l’enseignement public. Une étude d’évaluation faite par un bureau d’audit international a démontré que les meilleures notes de l’examen national du baccalauréat reviennent à des élèves du public, si l’on exclut les notes du contrôle continu qui favorisent l’enseignement privé. Le secteur privé est caractérisé par la largesse des notes du contrôle continu pour s’attirer davantage de clients. De plus, l’absence de mécanisme de contrôle institutionnel, éducatif, didactique et pédagogique de la part du pouvoir public, est notoire. Il fait que la régulation de ce système se fait par le marché et le principe de résultats qui génère une gestion managériale.
- La généralisation de l’enseignement du préscolaire
Des études menées dans ce cadre par la COSEF, ont montré que l’enseignement du préscolaire est la base même de l’équité et de l’égalité des chances entre les élèves. Ce type d’enseignement a un impact direct sur le parcours scolaire des élèves. La vision « 2015-2030 » a rendu ce type d’enseignement obligatoire dans le système éducatif marocain et a recommandé sa généralisation à 100% à l’horizon 2030, aujourd’hui de 63,5%, selon le CSE. Néanmoins, le préscolaire n’est pas un secteur à la porter de quiconque. Il nécessite des enseignants qualifiés dans la psychologie et la sociologie de l’enfant, à même d’élaborer et conduire une action éducative pour les enfants et d’accompagner les parents dans leur rôle éducatif. Il nécessite de ce fait, une supervision rapprochée du pouvoir public et des outils pédagogiques à la hauteur de la mission.
- La langue d’enseignement
Auparavant, je dois signaler que je ne suis pas contre l’enseignement généralisé avec la langue arabe. Plusieurs pays arabes et autres ont réussi à instaurer un système éducatif de qualité avec la langue officielle de leurs pays. Dans le cas du Maroc, il y a une incohérence flagrante dans la langue d’enseignement. C’est une aberration que d’enseigner les matières scientifiques en arabe au primaire, au collège et au secondaire et de les poursuivre en français dans le supérieur. C’est cette incohérence qui fait que les familles des classes moyennes ou aisées ont perdu confiance dans l’éducation publique comme moteur de la promotion sociale et inscrivent leurs enfants dans des écoles francophones privées ou des missions étrangères, afin de poursuivre des parcours d'excellence. Ceci valorise davantage la langue française aussi bien par les familles aisées que les familles dont les enfants suivent l’enseignement public marocain.
- La généralisation du taux de scolarisation
Le Maroc a déployé un effort important depuis les années 90 en matière de scolarisation. Le taux net de scolarisation des enfants de 6 à 11 ans a évolué de manière significative en passant de 52,4% en 1990/91 à 87% en 2003/04 pour atteindre 96,6% en 2011/12. De même, le taux de scolarisation des enfants de 4-5 ans est passé de 40,5% en 1990/91 à 53,9% en 2011/12 pour atteindre 63,5% en 2015. Néanmoins, le taux de scolarisation est biaisé par deux facteurs importants. Le premier facteur est lié au surnombre d’enfants dans une même classe, parfois comportant des niveaux différents, notamment dans les écoles rurales, ce qui impacte directement sur la qualité de l’enseignement et favorise l’abandon scolaire. Le taux d’abandon scolaire, constituant le second facteur, est passé pour le primaire, de 6,2% en 2002/03 à 3,2% en 2011/12 et le taux net de scolarisation dans l’enseignement collégial pour les adolescents de 12-14 ans a atteint 53,9% en 2011/12. En 2012, le taux d’alphabétisation des jeunes de 15-24 ans est de 90,1% pour les hommes et de 79% pour les femmes. Ceci conduit à un taux d’alphabétisation des adultes de plus de 25 ans à 78% en 2012. Ces données montrent que 32 enfants sur 1000 ne finissent pas le primaire et 461 sur 1000 jeunes ne terminent pas le collège. Le taux d'abandon scolaire reste un problème majeur surtout en milieu rural. Il reste encore élevé par comparaison avec d'autres pays arabes, comme l'Algérie, Oman, l'Égypte et la Tunisie.
- Le développement de la gouvernance
Le terme gouvernance « signifie la mise en place de nouveaux modes de pilotage ou de régulation plus souples et éthique, fondés sur un partenariat ouvert et éclairé entre différents acteurs et parties prenantes, tant aux échelles locales que globales ». Le développement de la gouvernance pour le système éducatif marocain vise la décentralisation de la prise de décision par la responsabilisation des partenaires à tous les niveaux de l’échelle hiérarchique. Une réforme quelconque, par exemple, bien élaborée par le département ministériel est transmise, sous forme de lettre circulaire aux différents acteurs pour qu’elle soit mise en œuvre. Or, ce qui se pratique aujourd’hui c’est la déresponsabilisation à chaque niveau, de sorte que le directeur de l’Académie Régionale de l’Education prenne note du contenu de la circulaire et la transmet au délégué qui fait de même et la transmet aux directeurs des établissements scolaires. Ceux-ci se contentent d’en informer le personnel de leurs écoles, sans aucun souci d’en discuter de manière collégiale le contenu et sa mise en œuvre. Le seul effort entrepris par l’administration pour en informer l’enseignant de la nouvelle réforme consiste souvent à charger un inspecteur d’improviser une rencontre où il leur parle de choses que lui même ne maitrise pas totalement. D’un autre côté, aucun directeur d’école public n’est à même de prendre la moindre décision concernant son établissement, sans l’accord préalable de la hiérarchie. Il n’a aucune responsabilité pédagogique, de contrôle, de suivi de qualité et de gestion des ressources humaines et de renforcement de leurs capacités et compétences. Il se contente de régler, autant que faire se peut, les aspects administratifs. Or, les directeurs d’écoles devraient être les premiers responsables de la qualité de l’enseignement, afin de créer une émulsion entre écoles.
- L’amélioration de la qualité d’apprentissage
l’enseignement public marocain reste encore basé sur la mémorisation à outrance sans comprendre ni réfléchir et sans s’interroger, au lieu et place de permettre aux élèves l’acquisition des savoirs-être et d’outils basés sur l’esprit critique, de compétition et de compétence en communication, de remise en cause et de questionnement et en la culture du travail et de l’effort, pour plus d’efficacité et d’efficience. Il y a également un laisser aller de la culture scolaire permettant un suivi régulier par les parents de la scolarisation de leur progéniture. Il est démontré que les élèves qui ont peu d’interactions avec leurs parents sont plus à risque d’être moins engagés et de moins bien réussir à l’école, comparativement aux autres élèves qui bénéficient d’une relation positive avec leurs parents. Aujourd’hui, le monde a beaucoup évalué et le développement de l’informatique support de l’internet a totalement modifié la donne de notre comportement. Nous n’avons plus besoin d’apprendre par cœur. Nous avons surtout besoin d’apprendre une logique d’accéder à des informations qui sont disponibles et gratuitement. Nous avons besoin d’un esprit critique qui nous permet de distingué ce qui est bien pour soi même et pour la société de ce qui ne l’est pas. Nous avons besoin d’apprendre à communiquer à bien concevoir les choses et à les exprimer clairement. La réussite scolaire n’est plus liée qu’à l’obtention de bonnes notes mais elle est également tributaire d’interactions sociales constructives, d’où la nécessité d’une bonne régulation de ses interactions.
- Le rôle de l’école et de l’enseignant
L’école représente sans doute avec la famille un des lieux de socialisation les plus importants dans le développement de l’enfant en contribuant à son épanouissement personnel. Plus qu’une mission instructive, l’école a une mission éducative s’ébauchant dans les multiples interactions qui vont façonner les comportements, bouleverser les points de vue, créer des conflits. Ces interactions, si elles sont bien régulées pourraient alors permettre à l’enfant de se forger une identité sociale et une personnalité morale, adaptées aux contraintes de l’environnement. Le rôle de l’enseignant dans ce cadre est central. Il n’est pas cantonné dans le seul but de transmettre des savoirs, mais surtout de rendre ces savoirs désirables à l’élève, afin que ce dernier puisse s’en saisir et en tirer quelques choses. La transmission réussie est tributaire de la qualité de l’interaction enseignant/élève. La réussite scolaire serait favorisée par une ambiance agréable dans la classe. Le climat de classe réfère à différents aspects tels que la qualité de la collaboration élève-enseignant, la recherche d’objectifs d’apprentissage communs, explicites et adaptés au rythme de l’élève, une préférence exprimée envers les études, un rythme d’enseignement adéquat et des cours bien structurés. Les enseignants sont des acteurs importants dans l’amélioration de l’éducation et qu’aucun changement ne se reproduira sans leur appui et leur engagement. La transformation et l’amélioration de la qualité de l’enseignement dépend intimement de ce que les enseignants pensent et de ce qu’ils font. Il importe de ce fait de considérer avec bienveillance leurs conditions de travail comme un facteur déterminant dans tout processus de changement. Un enseignant averti doit s’adonner pleinement à l’accomplissement de sa noble mission. Celle de créer les conditions favorables pour permettre aux élèves d’exprimer librement leurs idées et d’expliciter leurs conceptions, faciliter la discussion et organiser un débat utile, acquérir une démarche scientifique, favoriser le travail individuel et collectif, organiser la communication… Une gestion de classe efficace est notamment reliée à un plus grand engagement de l’élève dans ses études et à une diminution des comportements dérangeants en classe.
Conclusion :
La réforme de l’enseignement est un processus continu et évolutif dont les ressources humaines constituent un facteur déterminent. Un système éducatif adéquat est l’œuvre de l’école dans son sens le plus large, des parents d’élèves, des responsables territoriaux. L’école ne peut pas évolué à plusieurs vitesses entre écoles urbaines et rurales, écoles privées et publiques, préscolaire, langue d’enseignement …, sont autant de facteurs discriminatoires qui font défaut à l’équité et à l’égalité des chances.
sans oublier la grande politisation d un dossier qui aurait du rester au dessus des querelles partisanes